GUYANE-GUIDE

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La passion de la Guyane : au delà du rêve…

Un texte de Daniel THOUVENOT.

Mis à jour le 05-10-2016  |  Publié le 28-08-2005 - Lu 65 828 fois
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Note du webmaster : Daniel Thouvenot, qui vient de mettre un terme à une longue carrière de journaliste, fut l'une des rares personnes qui accompagnèrent Edgar Maufrais dans ses expéditions. Pendant plusieurs mois, en 1956 et 1957, il fut le témoins privilégié des difficultés que représentaient ces recherches au coeur de la forêt amazonienne. Son site : www.daniel-thouvenot.com 

La Guyane exerce un tel pouvoir de fascination que le voyageur qui a connu un jour l’indicible bonheur de fouler son sol, ne rêve que de retour ; afin de redonner vie aux images qui, depuis une première rencontre, n’ont cessé de le hanter. Voilà près de cinquante ans que moi, j’aspire à retrouver la terre qui fut le théâtre de l’aventure la plus fabuleuse de ma jeunesse.

C’était en 1956. J’avais 19 ans. Dans la moiteur d’un matin de juillet, mon premier contact avec la Guyane eut pour cadre le petit port du Larivot. En provenance de métropole, via les Antilles et Trinidad, je débarquais d’un caboteur martiniquais, la Pinta en compagnie d’un pugnace et courageux quinquagénaire, dont le nom était à l’époque, universellement connu. Il s’appelait Edgar Maufrais. Depuis trois ans, dans le bassin de l’Amazone, du rio Jary au Tapajoz, du Xingu au Tapanahony, il recherchait, avec des moyens dérisoires, son fils Raymond, disparu en janvier 1950 sur les rives du Tamouri, entre le Dégrad-Claude et Bienvenue, sur le Camopi, alors qu’il tentait un raid inouï : rallier, seul et sans assistance Cayenne à Belém, par les Monts Tumuc-Humac. Trois ans d’enfer vert au Brésil, ne l’ayant pas convaincu, ni de la mort de son enfant, ni de l’inanité de ses efforts, Papa Maufé comme l’appelèrent plus tard Amérindiens, noirs marrons et créoles, revenait en Guyane – il y était passé à deux reprises l’année précédente – pour se rendre au Dégrad-Claude. Sur place, il souhaitait se placer, avec le nouveau compagnon de route que j’étais, dans les mêmes conditions que son fils six ans plus tôt et fouiller un vaste secteur désormais situé en territoire interdit : naviguer sur le haut-Camopi pour atteindre les Monts Belvédère et Saint-Marcel, remonter jusqu’à leurs sources respectives, le Grand Tamouri, la Crique Farouche et le Petit Tamouri, avec, en prime, l’escalade du Sommet Tabulaire. Un sacré programme réalisé entre le 4 août 1956 au départ du poste de Camopi au 24 décembre, à l’arrivée à Maripasoula, au terme d’une traversée d’est en ouest par le Chemin des Emerillons, le Tampoc et l’Ouaqui. Avant de repartir, en février, à partir de l’Oyapock, pour une deuxième expédition, moins longue mais tout aussi délicate, en raison de la saison des pluies, sur le Yaroupi…

Certains ont estimé que la mort de Raymond Maufrais, avait renforcé l’image négative généralement accolée à la Guyane. Je ne partage pas ce point de vue. Au contraire, il a fallu l’affaire Maufrais, pour qu’on parle d’elle en des termes plus élogieux qu’on ne le faisait jusqu’alors. Et quand bien même y-avait-il eu une émouvante et tragique disparition qu’on affubla à l’envi d’un mystère qui n’en était pas un. Car enfin, lorsqu’un skipper sombre avec son voilier il ne vient à l’idée de personne de jeter l’anathème sur la course au large. Pas plus que le décès d’un alpiniste pendant une ascension périlleuse ne remet en question l’attrait de la montagne. De la même façon, il est injuste de tenir la Guyane pour responsable de la mort de Raymond Maufrais qui s’était engagé dans une mission impossible. Pour ceux qui, au milieu du siècle dernier connaissaient la forêt, ne serait-ce seulement de réputation, l’issue d’une telle aventure ne faisait aucun doute : pour les Européens qui depuis la métropole redoutaient son climat, sa faune, sa flore, voire une partie de ses habitants ; pour les Guyanais, en grande majorité installés sur la bande côtière, entre Oyapock et Maroni.

C’est vrai que des millions et des millions de citadins, sous toutes les latitudes, découvrirent qu’en ce temps-là on pouvait mourir dans un raid en forêt guyanaise. Faut-il pour autant diaboliser le décor de cette tragédie, qui, c’est une certitude, pourrait tout aussi bien se répéter aujourd’hui si l’opération était conduite dans les mêmes conditions qu’en 1950 ? Je réaffirme qu’il s’agit là d’un mauvais procès. En revanche, ce drame rappelle que cette nature grandiose doit être abordée avec humilité et prudence, en tenant compte de l’expérience de ceux qui la pénètrent. Lors des expéditions de 1956 et 1957, je n’ai vraiment eu le sentiment d’être en danger que lorsque les circonstances nous ont séparé de nos guides Emerillons et Oyampis. En leur compagnie, j’ai toujours été persuadé que rien de fâcheux ne pouvait nous arriver. Avec eux, chasseurs expérimentés et adroits pêcheurs, nous étions certains de manger à notre faim, ce qui était, dans une pareille aventure, la première équation à résoudre. Pour le reste, il suffisait de composer au mieux avec une faune pas si dangereuse dans la mesure où elle est bien moins dense que certains l’ont décrite : dans les endroits les plus inaccessibles du territoire, entre le haut-Camopi et la Crique Farouche, je n’ai vu, en cinq mois, qu’un seul « tigre rouge » trop occupé à prendre son bain pour être agressif, à peine une dizaine de serpents dans le sous-bois et un unique anaconda lové sur une souche à demi immergée ; sur les flancs du Sommet Tabulaire, j’ai croisé un jaguar qui, ce jour-là, a du avoir aussi peur que moi. Par contre, j’ai été très souvent agressé par des myriades de petites bestioles, moustiques, mouches, guêpes, fourmis, tiques, et chiques ramassées en marchant nu-pieds dans les villages indiens, tandis que sur la rivière, j’ai failli à plusieurs reprises laisser un doigt entre les dents d’un aïmara ou d’un piraï.

Au delà de ses propres qualités ou insuffisances, le gage d’un séjour réussi en forêt – même quand il ne se déroule pas dans les conditions extrêmes que j’ai connues – réside dans la capacité à s’entourer des compétences de ceux dont les fleuves sont leur royaume et la forêt leur jardin : dans les années cinquante, c’étaient les Bonis sur le Maroni, en forêt, mes amis Amérindiens, desquels je conserve, depuis un demi-siècle, un souvenir ému et reconnaissant. Au contact des Oyampis des Capitaines Pierre et Eugène, Maas, Louis, Laprière, Yakali, Samson et tous les autres, des Emerillons du chef Monpéra, notamment Edouard et Joan, j’ai plongé pendant des mois dans un univers fascinant, découvert en profondeur un pays parfois difficile, toujours passionnant, solidaire et accueillant. J’ai aussi beaucoup appris sur cette nature à l’envoûtante exubérance, dont la grandeur inspire le respect.

Quant-bien même ai-je navigué sur une douzaine de fleuves et rivières, franchi à la cordelle, au takari et à la pagaie, des dizaines et des dizaines de sauts et de rapides, arpenté des contrées pas ou peu connues à l’époque, je ne prétends pas tout connaître de la Guyane. Loin s’en faut. J’en sais assez cependant pour, depuis ce temps, entretenir par la pensée avec ce département une relation passionnelle, quasi obsessionnelle. Le « mystère guyanais » réside dans mon attirance irraisonnée pour cette terre et ceux qui la peuplent, bien plus que dans une disparition. Celui qui n’a pas passé au moins une nuit en forêt, blotti dans un hamac suspendu sous un carbet ou une « queue de hocco », attentif au concert des crapauds-buffles ou aux hurlements des alouates, dégusté une part de cassave trempée dans le jus de cuisson d’un rôti de maïpouri ou d’agouti, participé à une soirée cachiri ou partagé une fête Boni ne peut comprendre cette phénoménale propension à aimer cet incomparable pays.

Depuis l’époque où il fallait deux jours pour rallier Cayenne à Saint-Laurent à bord d’un autocar brinquebalant qui, dès le départ du chef-lieu devait traverser tous les fleuves côtiers par le bac, où Saint-Georges seulement accessible soit par la mer, soit par la voie des airs, via Clévelandia était déjà le bout du monde, cinq décennies ont passé. Mais je suis persuadé d’une chose : jamais je ne pourrai évacuer de ma mémoire le souvenir indélébile de mon aventure guyanaise. Elle a rempli ma jeunesse, bouleversé ma vie et peuplé mes rêves d’images exceptionnelles.

Daniel THOUVENOT, www.daniel-thouvenot.com 

Quelques photos d'époque

Amazonie, l'enfer en partage

Editions Les presses du Midi, 2010
Daniel Thouvenot
Prix public : 19 €

Aventures en Guyane
Editions Ramsay, 1997
Edition revue, corrigée et complétée des textes publiés aux éditions Julliard en 1952 et 1970.
Prix public : 18,30 €
328 pages, notes, bibliographie
Epuisé en librairie.
Disponible par correspondance sur le site de l'A.A.E.R.M.
A prix d'Or
Editions Les Presses du Midi, 2008
Prix public : 18 €

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